Introduction
- Bonjour, êtes-vous heureux ?
- Oui, je le crois
- Vous le croyez ? Vous n’êtes finalement pas sûr d’être heureux : vous jurez
d’être heureux, vous préférez y croire ; vous avez suivi le philosophe Alain et
fait le serment du bonheur…
- C’est une démarche positive, non ?
- Absolument ! Croire au bonheur est primordial : il convient de laisser la
porte ouverte. Mais ma question ne portait pas sur vos croyances mais sur votre
état. Alors, êtes-vous heureux ?
- OK, alors disons que je suis heureux.
- En ce moment ?
- En ce moment pas particulièrement mais, en règle générale, je suis heureux…
- Et l’êtes-vous énormément, un peu ou beaucoup ?
- Disons que je suis assez heureux en règle générale.
- Et vous ne pourriez pas faire un petit effort pour l’être davantage ? Que
signifie ce « assez » ? Comment êtes-vous heureux ?
- Mais laissez donc mon bonheur tranquille !
Foutez-lui la paix !
- Bravo, vous avez compris : le bonheur est effectivement dans l’abandon et la
jouissance. Je vais le laisser tranquille mais vous feriez bien de faire de
même…
Oublions le bonheur !
Il nous dépasse, il nous nargue de sa hauteur, il nous intimide… « Qu’est-ce
que je serais heureux si j’étais heureux ! » se moquait Woody Allen…
« Le bonheur, je ne m’autorise à en parler que rétrospectivement : « L’été
dernier a été heureux ». Dans l’instant présent, c'est-à-dire où je suis, je
peux en revanche éprouver du plaisir ou du bien-être, ressentir une bouffée de
joie ou d’enthousiasme. Et quand l’une ou plusieurs de ces sensations me
traversent, je suis content. » écrit Jean-Louis Servan-Schreiber. Et le
fondateur de Psychologie Magazine de préciser : «
Content, le mot peut paraître étriqué,
un peu court, sans ambition ; je le ressens plutôt comme modeste, réaliste et
adapté à cette époque désillusionnée. Etre content, c’est simplement avoir une
conscience positive de ce que l’on est en train de faire
» (1)
Le bien-être ou le contentement sont en effet des états plus faciles à mettre en
œuvre, plus souples et plus flexibles que le bonheur: ils disparaissent et
reviennent en un éclair, le temps d’avoir une pensée ; ils fendent l’air et
touchent le cœur, avec adresse et agilité. Il faut finalement très peu de chose
pour se sentir bien et il est possible d’être
content de presque tout. Je me sens bien dans
le bonheur mais je suis également content lorsque mon malheur s’atténue…
Plus subtil, léger et gracieux, le bien-être peut sembler manquer de poids. Il y
aura donc toujours des auteurs pour le comparer au bonheur et le prendre de haut
ou pour l’assimiler au plaisir et le tirer vers le bas. Laissons-les jaser :
aborder le thème du bien-être n’est pas aussi
anodin et superficiel qu’il y paraît.
Matthieu Ricard reconnaît par exemple implicitement que le bien-être pourrait
être « le plus proche équivalent du concept [bouddhiste] de soukha »,
terme qui désigne un « état de sagesse, affranchie des poisons mentaux, et de
connaissance, libre d’aveuglement sur la nature véritable des choses ».
C’est le contraire du doukha, généralement traduit par souffrance, malheur ou
plus précisément « mal-être » (2)
En bref, le bien-être serait la sagesse de reconnaître la réalité de la nature.
Le soukha correspond toutefois à une sorte d’absolu, à un idéal difficile à
atteindre. Le prendre en référence nous éloignerait donc du bien-être terre à terre et facilement accessible
que nous souhaitons aborder ici. Il sera également moins question de réflexions
que de ressentis : une odeur agréable suffit à me procurer du bien-être et c’est
cette image, cette simplicité fondamentale, qui nous guidera tout au long de ce
chapitre.
Qu’est-ce donc alors que le bien-être ? Lors de la réalisation du Guide du
bien-être à Genève, j’avais proposé la définition suivante : « Une alchimie entre un corps en bonne santé, des
sens en éveil, un esprit serein et un environnement accueillant ». Mais le terme alchimie fut jugé trop ésotérique et nous le remplaçâmes
finalement par celui d’équilibre. Ce fut une erreur. Car, pour commencer,
n’est-il pas vrai que le bien-être est susceptible de transformer le plomb de la
vie en or ? Le bien-être n’a-t-il pas un je ne sais quoi de magique ?
Surtout, le terme d’équilibre semble impliquer une nécessaire égalité entre ces
divers éléments, un dosage à respecter, une recette à suivre. Voilà qui serait
contradictoire avec le bien-être : il existe des pistes et des stratégies pour
se sentir mieux mais il ne saurait y avoir de méthode. Le bien-être peut
s’épanouir avec chacun des éléments pris isolément et même être présent en
l’absence d’un ou plusieurs de ces éléments : je peux me sentir bien tout en
étant malade, endormi, stressé ou dans un lieu misérable. Ce sera moins facile
mais c’est possible. Il existe une multitude
de recettes et de dosages pour accéder à son bien-être.
Ce que nous allons voir maintenant n’est donc pas une recette miracle pour
constituer votre gâteau du bien-être mais plutôt quelques voies afin de
sélectionner les ingrédients les plus naturels et les plus digestes. A vous de
mettre ensuite la main à la pâte, de multiplier les expériences, de devenir le
pâtissier de votre bien-être !
(1) Jean-Louis
Servan-Schreiber, Vivre content, Editions Albin Michel, p. 14
(2) Matthieu Ricard, Plaidoyer pour le bonheur, Editions Nil, p. 16-20
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